Petite histoire du quartier ZAC Masséna

Cette longue bande de terre, de 2,7 km², d’une surface de 130 ha, c’est la ZAC Paris Rive Gauche, ce nouveau quartier de Paris qui est en train de s’enraciner dans le 13ème arrondissement. Ce grand chantier était, il y a moins de 20 ans, cette zone inhabitée et inhabitable, qui s’étend depuis la gare d’Austerlitz jusqu’aux Maréchaux (et même au-delà, à Ivry-sur-Seine). Bordé d’un côté par la Seine, il est traversé par les voies ferrées et hanté par les vieux bâtiments industriels abandonnés. Précieuse ressource foncière, la ZAC Paris Rive Gauche est considérée aujourd’hui comme le plus grand chantier de Paris depuis Haussmann.
Pour la plupart des parisiens ce site n’est identifié que par une seule chose, la Bibliothèque Nationale de France. En effet, c’est le premier bâtiment qui voit le jour dans cet improbable endroit, marquant en 1991 le début de l’immense chantier.

Vue aérienne du chantier ZAC Paris Rive Gauche Vue aérienne du chantier ZAC Paris Rive Gauche avec au premier plan le périphérique et les Maréchaux et au loin la gare d’Austerlitz.

Là où se dresse actuellement la BNF s’étendait à l’origine les plaines d’Ivry avec ses abbayes et ses moulins. En 1630 la rue du Chevaleret existait déjà, c’était le chemin qui conduisait du village d’Austerlitz à celui d’Ivry. Jusqu'en 1860 le 13ème arrondissement ne faisait pas partie de Paris et était séparé de la capitale par le mur des fermiers généraux qui suivait le tracé de l’actuel boulevard Vincent Auriol.
Le «quartier de la gare », c’est ainsi qu’il se nomme à partir de 1764, gardera son nom jusqu’au 20ème siècle. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nom « quartier de la gare » ne fait pas référence à la gare d’Austerlitz mais à une gare de bateau ! Cette appellation tire son origine d’un projet d’envergure que Louis XV commande à l’emplacement de la station quai de la gare. C’est en effet ainsi que s’est appelé ce port de forme semi-circulaire qui servait à entreposer, garer les bateaux. La gare de bateau de Louis XV sera abandonnée quelques années plus tard.
Environ à la même époque la verrerie Saget s’installe sur les rives du fleuve, à peu prés sur le site de la BNF, entre le pont de Bercy et le pont de Tolbiac. C’est le début d’une grande période d’industrialisation du quartier. A partir du 19ème siècle, le quartier de la gare perd ses fonctions agricoles, pour devenir une terre industrielle.

Pendant cette période on tire profit du site, les industries poussent un peu partout, le chemin de fer, inauguré en 1840, et la Seine transportent les marchandises.
Entreprises, ateliers, fabriques, usines se multiplient amenant avec elles de nombreux ouvriers.
Là où il n'y a qu’un siècle se trouvaient champs et abbayes, lorsqu'en 1860 les limites de Paris sont repoussées et définies par le mur de Thiers, c’est-à-dire les Maréchaux, la population du quartier de la gare s’élève à 432 000 habitants et compte 120 usines. La ligne Paris-Orléans, qui démarrait de la gare d’Austerlitz (et au début du 20ème siècle de la gare d’Orsay) séparera, avec l’enceinte de Thiers, et jusqu'à aujourd’hui, le quartier et les bords de Seine du reste du 13ème arrondissement.

Au fil des années, l’arrondissement se peuple, grâce notamment en 1920 à la construction des lotissements dits HBM (Habitation Bon Marché). Mais le quartier de la gare demeure un terrain inhospitalier et aux pieds des usines campe la misère.

Quand au début des années 1970 on commence à s’intéresser au potentiel de cette zone, la physionomie du quartier est restée quasiment identique bien que les usines aient toutes fermé.
L’idée première naît alors d’une réflexion sur l’aménagement des bords de Seine comprenant l’ancien quartier de la gare et le quartier de Bercy. Puis la nécessité de disposer d’un espace assez vaste et constructible pour le projet de l’Exposition Universelle de 1989 et celui des Jeux Olympiques de 1992 pose de nouveau l’attention sur le terrain des voies ferrées. En fait, la tardive appropriation de ce territoire est seulement due aux questions qu’il soulève, à savoir son aménagement, ses fonctions, sa destination. Mais déjà les grandes problématiques de la future ZAC Paris Rive Gauche sont posées, c’est-à-dire la recherche d’un rééquilibrage sur la périphérie de Paris.
Le projet, alors appelé « Seine rive gauche », démarre en 1991 sur la ZAC (Zone d’Aménagement Concentré) et c’est la SEMAPA (Société d’Economie Mixte de Paris) qui est désignée pour être son aménageur. Les travaux se concentrent d’abord le long du fleuve et concerne en premier lieu, non les logements, mais l’édification d’une grande bibliothèque. La ZAC Paris Rive Gauche est divisée en différents chantiers qui découpent le territoire en quartiers. Le quartier Austerlitz, le quartier Tolbiac pour la Bibliothèque et le quartier Masséna entre la bibliothèque et les Maréchaux.

Vue aérienne du secteur Masséna en premier plan, en regardant depuis le périphérique et la banlieueVue aérienne du secteur Masséna en premier plan, en regardant depuis le périphérique et la banlieue.

C’est la proposition de l’équipe de l’architecte Christian de Portzamparc et du paysagiste Thierry Huau qui est choisie pour œuvrer dans le quartier Masséna. En 2002 les premiers immeubles du quartier Masséna sont terminés et les premiers habitants s’y installent. Ils découvrent un nouvel environnement, bien différent des autres quartiers parisiens.
Dans ce quartier en cours de construction, l’avenue de France, de 40m large, forme un axe central, véritable couloir qui traverse la ZAC Paris Rive Gauche dans sa longueur avec d’un côté, les voies ferrées avec au loin le reste de l’arrondissement, de l’autre, les immeubles en bordure du fleuve. Selon le souhait de Portzamparc il situe les commerces et les grosses entreprises sur l’avenue et les habitations autour dans ce que l’architecte appelle les « îlots ouverts ». En effet, alors que l’avenue de France prend des allures de Manhattan mais davantage dans l’esprit d’un nouveau Montréal, avec ses bâtiments-cubes de verre, dans les rues voisines règne une atmosphère de tranquillité et d’intimité. Chaque pâté de maisons est conçu autour d’une sorte de patio, jardin intérieur qui peut être privé ou constituer un axe de circulation à travers le quartier. Autre caractéristique de l’endroit, les anciens bâtiments industriels ont été conservés et réhabilités, les architectures modernes et anciennes se côtoient avec une étonnante évidence. Résultat un quartier ultra moderne sans trop de froideur, ni de rigueur.

Du passé industriel il reste dans le quartier Masséna Nord de nombreux témoins. Construits entre 1917 et 1921 les Grands Moulins de Paris ont été dessinés par Georges Wybo, l’un des architectes du Printemps Haussmann. L’allure donnée à cet édifice a quelque chose de noble et majestueux. Juste en face des Grands Moulins on éleva un grand bâtiment tout en longueur pour y stocker la farine.

Les Grands Moulins à gauche avant les travaux de le début du chantier de la ZAC. Les Grands Moulins réhabilités pour les nouveaux locaux de l’université Paris7.

C’est Denis Honneger, élève d’Auguste Perret, qui réalisa en 1950 l’immense Halle aux Farines faite de béton. Les Grands Moulins et la Halle aux Farines cessèrent leurs activités dans les années 1970 ; ils abritent maintenant la nouvelle université Paris 7-Paris Diderot (anciennement à Jussieu).

La Halle aux Farines avant sa rénovation. La Halle aux Farines, aujourd’hui Paris7, accueille au rez-de-chaussée le centre d’art et de recherche Bétonsalon.

Vue du quartier ZAC Masséna avant construction avec à gauche les Grands Moulins et la Halle aux Farines.

Presqu’aux pieds de la BNF, sur la rue Neuve-Tolbiac, il y a un édifice assez singulier que chacun connaît pourtant bien. Les Frigos, c’est ce squat d’artistes très célèbre qui au départ était la gare frigorifique de Paris-Ivry servant à entreposer les denrées dans les chambres froides. Exécutés à la demande de la compagnie ferroviaire en 1921, les Frigos ont cessé en 1971 leur activité pour accueillir de nombreux artistes en mal d’espace pour travailler. Menacés de suppression, les Frigos sont aujourd’hui considérés comme un lieu d’art à part entière.

Les Frigos à gauche et derrière Les Grands Moulins et la Halle aux Farines.

Quai Panhard et Levassor – nom donné en référence aux usines automobiles de la Porte de Choisy – se dresse l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture Paris Val-de-Seine. Pour cette école, l’architecte Frédéric Borel a intégré la SUDAC, l’ancienne Société Urbaine de Distribution d’Air Comprimé. Construite en 1891 par l’architecte Guy Le Bus et l’ingénieur Joseph Leclaire, l’usine voit le jour grâce à l’idée d’un polytechnicien viennois, Victor Popp qui imagina un système qui permettrait d’unifier l’heure des horloges publiques par un réseau d’air comprimé. Chaque impulsion d’air faisait avancer les aiguilles. Anecdote, lors de la crue de 1910, les machines furent endommagées ce qui eut pour conséquence de bloquer toutes les horloges sur la même heure. Pendant toute la durée de la crue les horloges indiquèrent 10h53. L’idée de Popp fut vite abandonnée, mais l’usine perdura en fournissant en air comprimé les dentistes et les débits de boissons jusque dans les années 1980.

L’ancienne usine à air comprimé. La SUDAC intégrée au projet de la nouvelle école d’architecture Paris Val-de-Seine.

Le viaduc de Tolbiac, qui traversait les voies, ne connut malheureusement pas la chance de s’inscrire dans le projet ZAC Paris Rive Gauche. Inauguré en 1895, il était alors considéré comme un chef-d’œuvre de la métallurgie. Dans la veine de la Tour Eiffel, ce viaduc avait été construit pour remplacer une passerelle, le pont picard, emportée par une tempête.


Le viaduc de Tolbiac avant se destruction pour le projet ZAC Paris Rive Gauche.

A l’abandon, le long du boulevard Masséna, la vieille gare Orléans-Ceinture rappelle qu’à l’époque la ligne de la Petite Ceinture et celle du chemin de fer Paris-Orléans se croisaient là. Plus tard la gare devint la station Boulevard Masséna du RER C. Elle a été déplacée pour le projet ZAC Paris Rive Gauche rue du Chevaleret et avenue de France pour rejoindre la ligne 14. La station se nomme aujourd’hui Bibliothèque François Mitterrand.

L’ancienne gare Masséna prise depuis les Maréchaux sur le boulevard Masséna.

La ZAC Masséna est un nouveau quartier d’affaire plutôt chic, entre les entreprises, les commerces et les pôles d’enseignements s’y développe une grande activité économique. Par ailleurs, on a souhaité, dans ce quartier, une grande mixité sociale. Au niveau de l’habitat il est intéressant de noter que sur 1000 logements étudiants 600 seront des logements sociaux et que sur les 4000 habitations prévues, la moitié seront des logements sociaux. Paris 7, fac pluridisciplinaire, joue un rôle important dans ce contexte regroupant près de 3000 étudiants issus de milieux différents. Le quartier Masséna que l’on appelle déjà le nouveau quartier latin est au cœur d’un projet initial qui a pour thème l’université dans la ville. En 2000 la ville, l’état et la région se sont entendus pour créer un centre universitaire dans le quartier. Autour du Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports qui a emménagé avenue de France on compte une halte-garderie, deux crèches, une école primaire, un collège, Paris 7, l’école d’architecture, l’Université de Chicago et prochainement les futurs locaux de l’INALCO. Plus qu’un pôle d’enseignement, c’est un pôle culturel et intellectuel ; la ZAC se veut, à l’image du forum grec ou romain, un lieu d’idées et d’échanges auxquels participent la création d’un centre d’art dans l’université et bien sûr la BNF.

Aujourd’hui, dernier des grands chantiers de Paris pour un espace entièrement constructible, le projet ZAC Paris Rive Gauche pose la question de la création d’un nouveau quartier de Paris. La ZAC doit d’abord confronter le passé et le présent entre architecture ancienne et architecture moderne, s’intégrer à un Paris haussmannien tout proche, et enfin faire le lien avec Ivry en brisant la limite Paris-banlieue. A terme l’avenue de France rejoindra le boulevard des maréchaux et le périphérique raccordant directement Ivry-sur Seine au quartier.
Toute la difficulté étant de fabriquer un quartier authentique, en conservant son passé et son histoire, ne rien effacer, réadapter, se réapproprier, intégrer au reste, tout en renouvelant le langage urbain et architectural.
Une autre problématique est la réalisation d’un nouveau quartier universitaire dans la ville. Le quartier ZAC Masséna se veut un quartier jeune et toujours animé, les étudiants et les cadres supérieurs de l’avenue de France se mélangeant et se croisant dans les différents commerces. La ZAC Masséna se pense en fait de manière autonome, une ville dans la ville. On compte au nombre de sept les bâtiments de Paris 7, de ce fait l’université n’est plus centrée sur elle-même mais s’étend sur tout le quartier faisant de celui-ci une vaste zone universitaire dans l’esprit des campus mais intégrée pleinement dans la ville. C’est l’université qui crée la ville, c’est autour d’elle que se fait la ville. Une « ville universitaire » en somme ? Paris 7 est véritablement une ville universitaire en soi, une des plus grandes universités de France par sa densité de population, elle regroupe près de 30 000 personnes, étudiants, professeurs, chercheurs, personnels administratifs confondus. 30 000 personnes c’est déjà la taille d’une ville. ZAC Masséna = transports + commerces + entreprises + établissements d’enseignements +centre d’art + jardins + logements + logements sociaux = ville nouvelle à petite échelle.

En 2007 ont démarré les travaux de couverture des voies ferrées des secteurs Massena-Chevaleret et Tolbiac-Chevaleret. Recouvrir les voies c’est renouer avec le reste de l’arrondissement, c’est former un tout cohérent, mais c’est aussi faire disparaître le passé sous la ZAC. La construction de la ZAC entraîne la disparition progressive des voies de chemin de fer, un changement radical du paysage urbain et avec elle une histoire de plus d’un siècle. Ici, les aventures du personnage des bandes dessinées de Jacques Tardi, Nestor Burma, se baladant dans le vieux quartier Massena-Toblbiac seront, pour peu de temps encore, tangibles dans les esprits.
La ZAC Masséna aujourd’hui c’est un instant T, un temps suspendu entre deux ères. Pour le moment, le quartier est une paisible enclave que les parisiens n’ont pas encore investie, inconnue ou presque des cartes, des guides Michelin et autres Mappy. Des premiers usages qui ont été fait de la ZAC Masséna, de la manière dont les gens peuvent la percevoir et la vivre, il ne restera rien quand l’avenue de France sera devenue cette autoroute reliant le cœur de Paris en ligne droite avec Ivry; quand le quartier ZAC Masséna sera fondu dans les 130 ha de la ZAC Paris Rive Gauche. Aujourd’hui, il reste encore à construire environ 40% sur le site ZAC Paris Rive Gauche.

Paris, 27 juillet 2008


Nestor Burma, promenade solitaire à Tolbiac ; Léo Mallet et Tardi, Brouillard au pont de Tolbiac, Casterman.


Bibliographie

Ouvrages généraux

- LANGLOIS, Gilles-Antoine, Histoire d’un quartier de Paris : de la Salpêtrière à la Bibliothèque nationale de France, Paris, Somogy, 2000.
- LANGLOIS, Gilles-Antoine, 13ème arrondissement, Paris, Parigramme, 1993.
- CONTE, Gérard, C’était hier…le XIIIème arrondissement, Paris, Aracdia Editions, 2001.
- WERQUIN, Ann-Caroll, MAURIER, Paul, PELISSIER, Alain, La consultation Masséna, projets d’urbanisme pour un nouveau quartier de Paris, Genève, Skira, 1997.
- L’université dans la ville : vers un nouveau quartier métropolitain ? (Les entretiens de Paris Rive Gauche), Paris, SEMAPA, 2000.
- L'aménagement du secteur Seine Rive Gauche - n°9, Paris, Atelier parisien d’urbanisme, 1990.

Articles

EDELMANN, Frédéric, « A Paris, la magie architecturale du quartier Masséna », Le Monde, Paris, 23 mars 2008.
ALLIX, Grégoire, « Paris rive gauche : un nouveau quartier latin », Le Monde, Paris, 8 février 2007.

Sites internet

www.apc.univ-paris7.fr
www.univ-paris-diderot.fr
www.paris.fr
www.pbase.com
www.commons.wikimedia.org
www.flickr.com
www.fredericborel.fr
www.lebrunf9.free.fr